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Dans les manuels actuels, il y a toujours le roman national, avec les grands hommes, et en fin de chapitre,
une histoire plus sociale ou culturelle, sous la forme d'un encart où apparaissent les femmes, éternelles anecdotes
de l'histoire. [...] Ce que l'on demande, ce n'est pas d'instaurer une histoire des femmes à l'école, mais d'avoir enfin
une histoire mixte. Mettre fin à la non-mixité des programmes scolaires actuels.
Vous pensez peut-être que j'exagère et que les femmes ont leur place dans les manuels.
Les historiennes Véroniques Garrigues et Julie Pilorget relèvent pourtant cela elles-mêmes : « Aujourd'hui, avec les
nouveaux programmes de collège et de lycée, on constate un nouveau recul de la présence des femmes dans
l'histoire enseignée ». Pour regarder plus en détail ce qu'apprennent les élèves, j'ai choisi au hasard le manuel
d'histoire Hachette spécial réforme du lycée (2019). Les femmes y apparaissent dans six pages sur un total de 277:
une double sur les femmes et la vie civique à Athènes (ce qui est déjà un bon point parce que ce n'est même pas
dans les directives officielles). Ensuite, une double page, avec Emilie du Châtelet pour évoquer le rôle des femmes
dans la vie scientifique et culturelle et, pour finir, le rôle des salons avec l'exemple de Mme de Tencin.
Six pages.
Ah non, pardonnez-moi, j'oubliais une page. La couverture. Elle présente un tableau où l'on voit une jeune
fille de 14 ans, la marquise d'Antin, un oiseau posé sur ses doigts. Parce que les filles c'est joli et qu'on aime mettre
de belles images sur les couvertures.
C'est fou. Suis-je la seule à voir combien c'est dingue ? Et révélateur de là où nous en sommes encore
collectivement ?
Comment peut-on penser le rapport au pouvoir, ce qui est l'objectif avoué du programme de classe de
seconde, sans penser les rapports femmes/hommes ? C'est absurde- mais pas innocent. L'histoire des femmes reste
perçue comme un gadget¹ par certains, une sous-catégorie - ce qui relève au fond de la vieille idée que les femmes
elles-mêmes ne sont qu'une sous-catégorie de l'humanité.
Pourtant, je croyais qu'il était dans les missions de l'école de lutter contre les inégalités. L'éducation est un
levier puissant que l'on n'a pas suffisamment actionné pour ceuvrer à l'avènement de l'égalité entre les femmes et
les hommes.
Dans L'Histoire des femmes en Occident, et le volume consacré au XXème siècle, l'historienne Marcelle
Marini s'interrogeait sur la disparition des femmes écrivaines des manuels scolaires. Elle s'en inquiétait parce que
« l'école confirme les garçons comme seuls héritiers légitimes et futurs détenteurs de la créativité culturelle; en
revanche, elle enlève aux filles toute position légitime d'énonciation.² >>
Ce texte date de 1992. Il y a presque trente ans. Les choses ont-elles vraiment changé?
L'école fabrique activement de l'inégalité entre les filles et les garçons.
Ceux qui pensent que changer les programmes scolaires est encore une lubie de féministes hystériques,
ceux-là ne se sont jamais demandé ce que signifie de grandir avec une histoire dont nos semblables sont exclues.
Qu'est-ce que, petite fille, on perçoit quand on ne nous raconte que l'histoire des hommes ? C'est ce qui m'est
arrivé. Et ça ne me posait pas de problème, puisque je n'envisageais pas autre chose. C'est maintenant, à l'âge
adulte, en découvrant l'histoire de nos ancêtres, de la moitié de nos ancêtres pour être précise, que je réalise la
tromperie dont j'ai été victime. La relégation de mes aïeules me met en colère. Elles méritent mieux. Parce que
nous sommes des femmes, notre histoire ne peut être que marginale ? Cantonnée à des ouvrages spécialisés?
(Comme celui-ci, d'ailleurs). Pourquoi ne pas intégrer cette moitié de notre histoire commune dans les
programmes ?
Il ne s'agit pas simplement d'accorder « une » place aux femmes dans l'histoire, comme une page sur Emilie
du Châtelet dans un manuel; il s'agit de nouer ces deux histoires. Il s'agit d'inclure. L'un des objectifs actuels du
féminisme, en dehors de l'égalité, c'est de déviriliser le monde. Déviriliser donc également l'histoire, pour laisser de
la place, un peu, aux Autres et, peut-être, en fin de compte, parvenir à trouver notre unité.
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