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COMMENTAIRE COMPOSÉ
Nous sommes au début de l'œuvre. Le rideau s'ouvre sur un carrefour. La attendent la femme et le souffleur.
Apparaît ensuite le poète qui est recherché par le policier.
Le Poète :
Suspect. Suspect. Encore ce mot. Aussi loin que je me souvienne, c'est toujours le même scénario, le même.
Narines pincées comme un bouledogue qui flaire de la mauvaise viande. Suspect. Au temps de mon ami, le peintre
car il était classé suspect, lui aussi. Parce qu'il dessinait des images qu'on ne comprenait pas toujours. Alors de
temps en temps, les flics faisaient une descente chez lui et perquisitionnaient. Ils déchiraient ses livres et ses cahiers
et ils brisaient ses tableaux. Et comme ils ne trouvaient toujours rien, ils l'emmenaient et le brisaient en petits
morceaux pour perquisitionner en lui. Après cela, on le revoyait. Et lui passait toutes les heures de ses journées à se
recoller, à se replâtrer, à se remodeler. J'étais enfant. Je le regardais. Il disait que c'est pour l'intimider. Moi, je lui
demandais: « Qu'est-ce que ça veut dire, intimider? » Un jour, il est revenu. Et dans les restes de lui-même qu'il a
rapportés et qu'il recollait, il n'a plus retrouvé sa langue. Et c'est fini. Il ne pourra plus jamais dire un mot. Un seul
mot. Il ne peut que sourire.
C'est lui qui m'a appris à sourire et même à rire, à rire de tout: de moi-même, de mes fautes, de mes
mésaventures. Il m'a appris à sourire.
Il disait que le sourire seul fait vrai. Qu'on ne peut pas sourire faux. Qu'on ne peut pas sourire méchant ou
sourire cynique. On fait un rictus. C'est tout. On retrousse ses muscles comme on retrousse les manches pour
cogner. Et nul n'est dupe. Il m'a appris à voir aussi. Il avait des yeux faits pour voir. De grands yeux de poète, grands
comme les mers. Et pleins. Et voilés. Et quand ils te regardent, tu te sens transparent. Il m'a appris à voir à travers
les choses opaques et closes, à prendre les choses de revers pour n'en deviner que l'endroit. Ici, on n'aimait pas ses
yeux. On les trouvait suspects. On disait que c'étaient des gadgets d'espionnage, des caméras truquées, des yeux
de sorcier, des yeux de voyant, des yeux de voyeur. Et voilà.
Lui, souriait parce qu'il ne savait pas qu'on allait les lui crever.
Kossi Efoui, Le Carrefour in Théâtre Sud, n° 2,
L'Harmattan, Paris, 1990. PP.78-79.
Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez montrer, par exemple, comment le statut
particulier de l'artiste fait de lui un martyr.


Sagot :

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