La littérature d'idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Lettre à la jeunesse est un texte publié
par Zola en 1897. En pleine affaire
Dreyfus, il exhorte la jeunesse à prendre
position contre l'injustice.
Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi
des souffrances que tes pères ont endurées,
des terribles batailles où ils ont dû vaincre,
pour conquérir la liberté dont tu jouis à
cette heure. Si tu te sens indépendante, si
tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la
presse ce que tu penses, avoir une opinion
et l'exprimer publiquement, c'est que tes
pères ont donné de leur intelligence et de
leur sang. Tu n'es pas née sous la tyrannie,
tu ignores ce que c'est que de se réveiller
chaque matin avec la botte d'un maître sur
la poitrine, tu ne t'es pas battue pour
échapper au sabre du dictateur, aux poids
faux du mauvais juge. Remercie tes pères,
et ne commets pas le crime d'acclamer le
mensonge, de faire campagne avec la force
brutale, l'intolérance des fanatiques et la
voracité des ambitieux. La dictature est au
bout.
dans nos luttes d'intérêts et de personnes,
qui n'es encore engagée ni compromise
dans aucune affaire louche, qui peux parler
haut, en toute pureté et en toute bonne foi ?
Jeunesse, jeunesse ! Sois humaine,
sois généreuse. Si même nous
nous
trompons, sois avec nous, lorsque nous
disons qu'un innocent subit une peine
effroyable, et que notre cœur révolté s'en
brise d'angoisse. Que l'on admette un seul
instant l'erreur possible, en face d'un
châtiment à ce point démesuré, et la
poitrine se serre, les larmes coulent des
yeux. Certes, les gardes-chiourme restent
insensibles, mais toi, toi, qui pleures
encore, qui dois être acquise à toutes les
misères, à toutes les pitiés ! Comment ne
fais-tu pas ce rêve chevaleresque, s'il est
quelque part un martyr succombant sous la
haine, de défendre sa cause et de le délivrer
? Qui donc, si ce n'est toi, tentera la
sublime aventure, se lancera dans une
cause dangereuse et superbe, tiendra tête à
un peuple, au nom de l'idéale justice ? Et
n'es-tu pas honteuse, enfin, que ce soient
des ainés, des vieux, qui se passionnent,
qui fassent aujourd'hui ta besogne de
généreuse folie?
Jeunesse, jeunesse! Sois toujours
avec la justice. Si l'idée de justice
s'obscurcissait en toi, tu irais à tous les
périls. Et je ne te parle pas de la justice de
nos codes, qui n'est que la garantie des
liens sociaux. Certes, il faut la respecter,
mais il est une notion plus haute, la justice,
celle qui pose en principe que tout
jugement des hommes est faillible et qui
admet l'innocence possible d'un
condamné, sans croire insulter les juges.
N'est-ce donc pas là une aventure qui
doive soulever ton enflammée passion du
droit ? Qui se lèvera pour exiger que
justice soit faite, si ce n'est toi qui n'es pas
Vous répondrez aux questions suivantes en justifiant vos réponses par des citations du texte.
1. Relevez les marques de l'adresse dans le texte. A qui est-il destiné ?
2. Comment expliquez vous le choix du tutoiement dans le texte ?
3. Relevez dans le texte les procédés littéraires destinés à émouvoir le lecteur,
4. Quelle est est le but du texte ?
5. Quelles sont les stratégies argumentatives adoptées pour l'atteindre ?
- Où allez-vous, jeunes gens, où allez-
vous, étudiants, qui battez les rues,
manifestant, jetant au milieu de nos
discordes la bravoure et l'espoir de vos
vingt ans ?
- Nous allons à l'humanité, à la vérité, à
la justice !
Émile Zola, « Lettre à la jeunesse », 1897.