Une étrange tapisserie Le narrateur séjourne chez son oncle. Dans sa chambre se trouve une tapisserie représentant Omphale, reine de Lydie, qui fut la maîtresse d'Hercule. En me déshabillant, il me sembla que les yeux d'Omphale avaient remué; je regardai plus attentivement, non sans un léger sentiment de frayeur, car la chambre était grande, et la faible pénombre lumineuse qui flottait autour de la bougie ne servait qu'à rendre les ténèbres plus visibles. Je crus voir qu'elle avait la tête tournée en sens inverse. La peur commençait à me travailler sérieusement; je soufflai la lumière. Je me tournai du côté du mur, je mis mon drap par-dessus ma tête, je tirai mon bonnet jusqu'à mon menton, et je finis par m'endormir. Je fus plusieurs jours sans oser jeter les yeux sur la maudite tapisserie. Il ne serait peut-être pas inutile, pour rendre plus vraisemblable l'invraisemblable histoire que je vais raconter, d'apprendre à mes belles lectrices qu'à cette époque j'étais en vérité un assez joli garçon. J'avais les yeux les plus beaux du monde: je le dis parce qu'on me l'a dit; un teint un peu plus frais que celui que j'ai maintenant, un vrai teint d'oeillet; une chevelure brune et bouclée que j'ai encore, et dix-sept ans que je n'ai plus. Il ne me manquait qu'une jolie marraine pour faire un très passable Chérubin, malheureusement la mienne avait cinquante-sept ans et trois dents, ce qui était trop d'un côté et pas assez de l'autre. Un soir, pourtant, je m'aguerris au point de jeter un coup d'oeil sur la belle maîtresse d'Hercule; elle me regardait d l'air le plus triste et le plus langoureux du monde. Cette fois-là j'enfonçai mon bonnet jusque sur mes épaules et je fourrai m= tête sous le traversin. Je fis cette nuit-là un rêve singulier, si toutefois c'était un rêve. J'entendis les anneaux des rideaux de mon lit glisser en criant sur leurs tringles, comme si l'on eût tiré précipitammen les courtines. Je m'éveillai; du moins dans mon rêve il me sembla que je m'éveillais. Je ne vis personne. La lune donnait sur les carreaux et projetait dans la chambre sa lueur bleue et blafarde. De grandes ombres, des forme bizarres, se dessinaient sur le plancher et sur les murailles. La pendule sonna un quart ; la vibration fut longue à s'éteindre ; c aurait dit un soupir. Les pulsations du balancier, qu'on entendait parfaitement, ressemblaient à s'y méprendre au cœur d'un personne émue. Je n'étais rien moins qu'à mon aise et je ne savais trop que penser. Un furieux coup de vent fit battre les volets et ployer le vitrage de la fenêtre. Les boiseries craquèrent, la tapisse ondula. Je me hasardai à regarder du côté d'Omphale, soupçonnant confusément qu'elle était pour quelque chose dans to cela. Je ne m'étais pas trompé. La tapisserie s'agita violemment. Omphale se détacha du mur et sauta légèrement sur le parquet. Théophile Gautier, Omphale, 18 1. Relevez les détails visuels inquiétants. (1 pt.) . À quoi les bruits de la pendule sont-ils comparés ? Relisez la fin de l'extrait et expliquez le choix de es comparaisons. (3 pts.) . Quel événement étrange se produit au début de l'extrait ? (1 pt.) . Le narrateur est-il bien sûr de ce qu'il voit ? Justifiez votre réponse en citant des termes précis du exte. (2,5 pts.) Quel sentiment cette première vision provoque-t-elle en lui? (1 pt.) Par quel moyen le narrateur tente-t-il de nous persuader qu'il est sincère et sain d'esprit ? (1 pt.) Relevez un passage humoristique. (1 pt.) Relevez les passages exprimant l'incertitude du narrateur. (2 pts.) Que se passe-t-il à la fin de l'extrait ? Cherchez deux explications, l'une rationnelle, l'autre maturelle, à ce phénomène. (3 pts.) . Relevez, dans les dernières lignes du texte, ce qui préparait le lecteur à cet événement. (1,5 pt.) . Quel thème fantastique, déjà abordé au cours de la séquence, pouvez-vous reconnaître dans cet trait ? (1 pt.) . En vous aidant de vos réponses aux questions précédentes, composez un petit paragraphe expliquant quoi cet extrait est un récit fantastique. (2 pts.)