Lucien était douillettement recroquevillé sur lui-même. C'était sa position favorite. Il ne s'était
jamais senti aussi détendu, heureux de vivre. Tout son corps était au repos, léger, presque aérien. Il
s'y sentait flotter. Pourtant, il n'avait absorbé aucune drogue pour accéder à cette sorte de béatitude".
Lucien était calme et serein naturellement; bien dans sa peau, comme on dit. Un bonheur égoïste,
somme touté. La nuit même, le malheureux fut réveillé par des douleurs épouvantables. Il était pris
dans un étau, broyé par les mâchoires féroces de quelque fléau*. Quel était ce mal qui lui fondait
dessus ? Et pourquoi sur lui plutôt que sur un autre ? Quelle punition lui était donc infligée ? « C'est
la fin », se dit-il. Il s'abandonna à la souffrance en fermant les yeux, incapable de résister à ce flot
qui le submergeait, l'entraînant loin des rivages familiers. Il n'avait plus la force de bouger. Un
10 carcan l'emprisonnait de la tête aux pieds. Il se sentait emporté vers un territoire inconnu qui
l'effrayait déjà. Il crut entendre une musique abyssale. Sa résistance faiblissait. Le néant l'attirait. Un
sentiment de solitude l'envahit. Il était seul dans son épreuve. Personne ne pouvait l'aider. Il devrait
franchir le passage en solitaire. Pas moyen de faire autrement. « C'est la fin », se répéta-t-il. La
douleur finit par être si forte qu'il faillit perdre la raison et soudain ce fut comme un déchirement en
15 lui. Et puis, soudain, ce fut une lumière intense qui l'aveugla. Ses poumons s'embrasèrent. Il poussa
un cri. En le tirant par les pieds, la sage-femme s'exclama, d'une voix tonitruante: « C'est un garçon !
>> Lucien était né.
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Claude Bourgeyx, Les Petits Outrages, 1984
• Béatitude: état de bien-être suprême. Fléau: arme. Carcan: collier de fer.
1) Quelle révélation apparaît dans les demières lignes du texte ?
2) Relevez tous les indices qui auraient pu permettre au lecteur de comprendre qui et où était Lucien
en réalité. Commentez chaque indice en le mettant en relation avec la révélation.
A VOTRE TOUR!
Ces textes courts qui finissent par une révélation s'appellent des « nouvelles à chute ». A vous d'en
imaginer une ! Choississez une situation, racontez en semant des indices et attendez les
dernières lignes pour révéler l'information cachée. Attention: interdiction d'imaginer un rêve
dont on se réveille.