"Rien n'est plus ordinaire en philosophie, et même dans la vie courante,
que de parler du combat de la passion et de la raison, de donner la
préférence à la raison et d'affirmer que les hommes ne sont vertueux que
pour autant qu'ils se conforment à ce qu'elle leur ordonne. Toute créature
raisonnable, dit-on, est obligée de régler ses actions sur la raison [...].
Nous ne parlons par rigoureusement et philosophiquement lorsque nous
discourons du combat de la passion et de la raison. La raison est et ne doit
être que l'esclave des passions, elle ne peut jamais remplir un autre office
que celui de les servir et de leur obéir [...]. Les passions ne peuvent être
contraires à la raison que dans la seule mesure où elles s'accompagnent de
quelque jugement ou de quelque opinion. Selon ce principe si évident ou si
naturel, une affection ne peut seulement être dite déraisonnable que dans
les deux sens suivants. D'abord, quand une passion telle que l'espoir ou la
crainte, le chagrin ou la joie, le désespoir ou la sérénité, se fonde sur la
supposition de l'existence d'objet qui, en réalité n'existent pas. En second
licu quand, pour satisfaire une passion, nous choisissons des moyens
inappropriés à la fin visée et jugeons faussement des causes et des effets.
Dans tout autre cas, la raison ne peut ni justifier une passion ni la
condamner. Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du
monde entier à une égratignure de mon doigt. Il n'est pas contraire à la
raison que je choisisse d'être complètement ruiné pour empêcher le
moindre malaise d'un Indien ou d'une personne qui m'est complètement
inconnue [...]. En bref, une passion doit s'accompagner d'un jugement
faux pour être déraisonnable; et même alors, ce n'est pas la passion qui, à
proprement parler est déraisonnable, c'est le jugement."
Hume, Traité de la nature humaine, 1740, Livre II, partie III, section III,
tr. fr. Jean-Pierre Cléro, GF, 1991, p. 268-272. Expliquez le texte suivant .