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Contractez le texte suivant au quart (170 mots +/- 10%).
Il y a un exemple que je prends souvent parce qu'il est à la fois simple et profond :
c'est celui de ma mère qui, quand j'étais enfant, me répétait toujours : « L'école, ça n'a
jamais été mon truc, ça ne m'a jamais intéressée », comme le disent les frères de
Didier Éribon dans Retour à Reims. Quand ma mère le disait, pour moi ce n'était
5 qu'une phrase, comme ça, insignifiante, juste un détail sur sa vie ou sur son caractère.
Mais quand j'ai lu Éribon, puis Bourdieu¹, j'ai compris que cette phrase n'était pas
seulement un détail, une succession de mots et de sons, mais qu'elle révélait tout un
système d'exclusion, de domination et de reproduction sociale. Ma mère pensait
qu'elle avait fait un choix en arrêtant l'école à 16 ans, mais elle ne se rendait pas
10 compte que tout le monde dans son milieu, dans sa classe sociale, dans son village,
avait fait la même chose et que donc sa décision était le résultat d'un déterminisme
social, collectif. Elle ne voyait pas que pour les classes les plus privilégiées, faire des
études est une évidence, alors que dans sa classe à elle, c'est une chose presque
impossible.
Ce que ma mère pensait comme un choix, comme une petite caractéristique indi-
viduelle à peine intéressante à raconter, avait en fait un sens très profond : les femmes
dans son cas, nées dans un milieu pauvre, dans un petit village loin de tout, étaient
dans l'ensemble prédestinées à cette vie, à ne pas faire d'études, à avoir des enfants
très jeunes, comme la mère de Didier Éribon. Tout à coup, après la lecture de Retour
20 à Reims, une simple phrase de ma mère avait un sens vertigineux, presque infini, qui
disait quelque chose sur le monde, sur les inégalités sociales, la reproduction, le destin
- les destins collectifs.
15
Beaucoup d'éléments, de scènes, de paroles entendues dans mon enfance se
sont mis à émerger, par le sens qu'ils avaient et que je découvrais. C'était comme si
25 je vivais mon enfance après l'avoir vécue, tout à coup ma vie prenait de l'épaisseur,
de la profondeur parce que je voyais des choses que je n'avais pas pu voir au moment
où je les vivais, qui n'avaient pas eu d'existence dans ma conscience. Des journées,
des heures entières se mettaient à exister, elles étaient arrachées au néant. Retour à
Reims, et les rares livres du même ordre, semblent avoir une capacité à rallonger la
30 vie, d'une façon quasi magique ; une enfance sur laquelle je n'aurais eu que quelques
mots à dire devenait beaucoup, beaucoup plus longue à raconter que ce que j'aurais
jamais pu imaginer. Je restitue dans mon premier roman, celui justement que j'ai dédié
à Didier Éribon, comment, dans mon enfance, entre onze et treize ans, tous les jours
au collège deux garçons m'attendaient dans un couloir pour me cracher dessus et me
35 traiter de « pédé » : à l'époque, je pensais que cette situation, ces crachats qui cou-
laient sur mon visage étaient simplement dus au fait que ces garçons me haïssaient
personnellement à cause de mon homosexualité, ou que leur comportement s'expli-
quait par une forme de méchanceté personnelle.
Je ne me rendais pas compte que c'était le produit de toute une histoire de l'ho-
40 mophobie, de centaines d'années de discours homophobes qui avaient rendu possible
et pensable ce crachat pour ces garçons, d'une situation de classe aussi, étant donné
le poids du masculinisme³ dans une bonne partie des classes populaires.
Bref, il m'a fallu un livre comme Retour à Reims pour comprendre tout ça, pour me
rendre compte que même nos larmes sont politiques, que les larmes que je versais
45 après avoir reçu les crachats étaient politiques, parce que qu'elles étaient rendues
possibles par cet entremêlement d'histoire politique, sociale, culturelle. Peut-être que
si j'avais grandi dans un autre pays, dans une autre classe sociale, je n'aurais pas
reçu ces crachats. Et c'est à partir du moment où on se rend compte que même une
chose aussi anecdotique que nos larmes ont un sens, qu'elles disent quelque chose
50 de la vérité du monde, sur la vérité du monde, qu'on peut les raconter.
Bonjour, quelqu’un peut me contracter ce texte s’il vous plaît?


Sagot :

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