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Lecture complémentairextra
antique de Voltaire
Voltaire est un écrivain et philosophe des Lumières (1694-1778). De son vrai nom François-
Marie Arouet, il participe à l'Encyclopédie et prend position dans les grands débats de son
époque, luttant contre l'intolérance religieuse et les injustices. Ses œuvres les plus célèbres
sont ses contes philosophiques (Candide ou l'optimisme, Zadig ou la destinée), le Diction-
naire philosophique et sa correspondance, estimée à vingt mille lettres.
Le conte philosophique, genre littéraire né au XVIIIe siècle, est une histoire fictive, cri-
tique de la société et du pouvoir en place pour transmettre des idées à portée philoso-
phique : mœurs de la noblesse, régimes politiques, fanatisme religieux par exemple. Il re-
prend la construction du conte et utilise certaines de ses formulations comme « il était une
fois »,
dans le but de se soustraire à la censure qui sévit à cette époque. Il appartient,
comme lui, au genre de l'apologue, court récit allégorique et argumentatif dont on tire une
morale, et qui regroupe aussi, entre autres, la fable.
Zadig ou la destinée relate les aventures d'un jeune homme qui fait l'apprentissage du
monde et de ses injustices dans un Orient imaginaire.
Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une fi-
gure aimable, un esprit juste et modéré, un cœur sincère et noble, crut qu'il pouvait être heu-
reux. Il devait se marier à Sémire, que sa beauté, sa naissance et sa fortune rendaient le
premier parti¹ de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire
l'aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné² qui allait les unir, lorsque, se prome-
nant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient le rivage de l'Eu-
phrate, ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches. C'étaient les satel-
lites³ du jeune Orcan, neveu d'un ministre, à qui les courtisans de son oncle avaient fait ac-
croire que tout lui était permis. Il n'avait aucune des grâces ni des vertus de Zadig ; mais,
croyant valoir beaucoup mieux, il était désespéré de n'être pas préféré. Cette jalousie, qui ne
venait que de sa vanité, lui fit penser qu'il aimait éperdument Sémire. Il voulait l'enlever. Les
ravisseurs la saisirent, et dans les emportements de leur violence ils la blessèrent [...] Elle
perçait le ciel de ses plaintes. Elle s'écriait : « Mon cher époux ! on m'arrache à ce que
j'adore. » Elle n'était point occupée de son danger ; elle ne pensait qu'à son cher Zadig. Ce-
lui-ci, dans le même temps, la défendait avec toute la force que donnent la valeur et l'amour.
Aidé seulement de deux esclaves, il mit les ravisseurs en fuite, et ramena chez elle Sémire
évanouie et sanglante, qui en ouvrant les yeux vit son libérateur. Elle lui dit : « Ô Zadig! je
vous aimais comme mon époux ; je vous aime comme celui à qui je dois l'honneur et la vie. »
[...] Sa blessure était légère; elle guérit bientôt. Zadig était blessé plus dangereusement ; un
coup de flèche reçu près de l'œil lui avait fait une plaie profonde. Sémire ne demandait aux
dieux que la guérison de son amant. Ses yeux étaient nuit et jour baignés de larmes : elle at-
tendait le moment où ceux de Zadig pourraient jouir de ses regards; mais un abcès survenu
à l'œil blessé fit tout craindre. On envoya jusqu'à Memphis chercher le grand médecin Her-
mès, qui vint avec un nombreux cortège. Il visita le malade, et déclara qu'il perdrait l'oeil ; il
prédit même le jour et l'heure où ce funeste accident devait arriver. « Si c'eût été l'œil droit,
dit-il, je l'aurais guéri; mais les plaies de l'œil gauche sont incurables. » Tout Babylone, en
plaignant la destinée de Zadig, admira la profondeur de la science d'Hermès. Deux jours
après l'abcès perça de lui-même; Zadig fut guéri parfaitement. Hermès écrivit un livre où il
lui prouva qu'il n'avait pas dû guérir. Zadig ne le lut point; mais, dès qu'il put sortir, il se
prépara à rendre visite à celle qui faisait l'espérance du bonheur de sa vie, et pour qui seule il
voulait avoir des yeux. Sémire était à la campagne depuis trois jours. Il apprit en chemin que
cette belle dame, ayant déclaré hautement qu'elle avait une aversion insurmontable pour les
borgnes, venait de se marier à Orcan la nuit même. À cette nouvelle il tomba sans connais-
sance; sa douleur le mit au bord du tombeau ; il fut longtemps malade, mais enfin la raison
l'emporta sur son affliction5 ; et l'atrocité de ce qu'il éprouvait servit même à le consoler.
Voltaire, Zadig ou la destinée, 1747.