Explication de texte
pas
« Je ne voudrais point dire non plus que l'identité personnelle et même le soi ne
demeurent point en nous et que je ne suis point ce moi qui ai été dans le berceau,
sous prétexte que je ne me souviens plus de rien de tout ce que j'ai fait alors. Il suffit
pour trouver l'identité morale par soi-même qu'il y ait une moyenne liaison de
conscienciosité d'un état voisin ou même un peu éloigné à l'autre, quand quelque
saut ou intervalle oublié y serrait mêlé. Ainsi, si une maladie avait fait une
interruption de la continuité de la liaison de conscienciosité, en sorte que je ne susse
point comment je serais devenu dans l'état présent, quoique je me souviendrais des
choses plus éloignées, le témoignage des autres pourrait remplir le vide de ma
réminiscence. On me pourrait même punir sur ce témoignage, si je venais de faire
quelque mal de propos délibéré dans un intervalle, que j'eusse oublié un peu après
par cette maladie. Et si je venais à oublier toutes les choses passées, et serais obligé
de me les laisser enseigner de nouveau jusqu'à mon nom et jusqu'à lire et écrire, je
pourrais toujours apprendre des autres ma vie passée dans mon précédent état,
comme j'ai gardé mes droits, sans qu'il soit nécessaire de me partager en deux
personnes, et de me faire héritier de moi-même. Et tout cela suffit pour maintenir
l'identité morale qui fait la même personne. >>>
G.W. Leibniz, Essais sur l'entendement humain (1703).