TEXTE 3-Victor Hugo, Les Misérables (1862)
Jean Valjean est emprisonné à Toulon après avoir volé un pain pour nourrir sa famille. Ses conditions carcérales modifient peu à
peu son tempérament
Jean Valjean n'était pas, on l'a vu, d'une nature mauvaise. Il était encore bon lorsqu'il arriva au bagne. Il y condamna la société et
sentit qu'il devenait méchant; il y condamna la providence et sentit qu'il devenait imple.
Ici il est difficile de ne pas méditer un instant.
La nature humaine se transforme-t-elle ainsi de fond en comble et tout à fait'homme créé bon par Dieu peut-il être fait méchant
par l'homme.'âme peut-elle être refaite tout d'une pièce par la destinée, et devenir mauvaise, la destinée étant mauvaise Le
coeur peut-il devenir difforme et contracter des laideurs et des infirmités incurables sous la pression d'un malheur disproportionné,
comme la colonne vertébrale sous une voûte trop basse N'y a-t-il pas dans toute âme humaine, n'y avait-il pas dans l'âme de
Jean Valjean en particulier, une première étincelle, un élément divin, incorruptible dans ce monde, immortel dans l'autre, que le
bien peut développer, attiser, allumer, enflammer et faire rayonner splendidement, et que le mal ne peut jamais entièrement
éteindre
Questions graves et obscures, à la dernière desquelles tout physiologiste eût probablement répondu non, et sans hésiter, s'il eût vu
à Toulon, aux heures de repos qui étaient pour Jean Valjean des heures de rêverie, assis, les bras croisés, sur la barre de quelque
cabestan, le bout de sa chaine enfoncé dans sa poche pour l'empêcher de trainer, ce galérien morne, sérieux, silencieux et pensif,
paria des lois qui regardait l'homme avec colère, damné de la civilisation qui regardait le ciel avec sévérité.
Certes, et nous ne voulons pas dissimuler, le physiologiste observateur eût vu là une misère irrémédiable, il eût plaint peut-être ce
malade du fait de la loi, mais il n'eût pas même essayé de traitement; il eût détourné le regard des cavernes qu'il aurait entrevues
dans cette âme; et, comme Dante de la porte de l'enfer, il eût effacé de cette existence le mot que le doigt de Dieu a écrit pourtant
sur le front de tout homme: Espérance !
Victor Hugo, Les Misérables, 1862
La peine de prison est-elle plus humaine que la peine capitale ?
PREMIERE LECTURE
Montrez que le narrateur interrompt ici son récit pour laisser la parole à l'auteur.
Le portrait d'un homme abimé
2. Relevez et commentez les expressions évoquant le personnage de Jean Valjean dans le texte. Que révèlent-elles de sa
personnalité ?
3. Des lignes 3 à 5, déterminez la figure de style présente et expliquez ce qu'elle suggère des conséquences des conditions
carcérales sur Jean Valjean,
Une réflexion sur la prison
4. Étudiez les cinq questions qui se succèdent dans le troisième paragraphe du texte. Comment Victor Hugo les organise-t-il ? Que
révèlent-elles de sa conception de l'être humain et de la prison ? Pourquol, selon vous, utilise-t-il la référence à Dante à la fin de ce
texte ?
5. L'auteur vous semble-t-il partager les convictions des physiologistes quant à la nature des prisonniers ? Justifiez votre réponse
par des éléments précis du texte.
6.
YNTHESE
En quoi ce texte révèle-t-il néanmoins une vision optimiste de la nature humaine ?
Étude de la langue -Les préfixes
Ce texte contient de nombreux adjectifs formés grâce à un préfixe adjoint au radical (ex« immortel »). Relevez-les en précisant
chaque fois l'adjectif initial sur lequel le mot est formé; le préfixe et sa signification, et la définition du mot.