Soudain, on entend crisser les freins d'une automobile. Des pas claquent dans la nuit et la porte du
restaurant s'ouvre sur trois officiers en uniforme. Louise et Esther se sentent blêmir, instinctivement Louise
cache le petit chien sous la table, puis porte la main à sa poitrine pour s'assurer qu'aucun fil de l'étoile
décousue n'y est resté accroché. Hannah ne réagit pas à l'entrée des hommes. Le dos du passeur se contracte,
accoudé au bar il porte son verre à ses lèvres et fixe les rangées de bouteilles. Deux des hommes restent en
faction près de la porte, le troisième se dirige vers Louise et Esther et leur demande leurs papiers. Elles
maîtrisent le tremblement de leurs mains, sortent leurs cartes d'identité de leur sac. Au moment où Louise se
lève, l'épaisse semelle de sa chaussure- orthopédique heurte le pied de la chaise. L'homme dit quelque chose
en allemand à ses deux collègues qui lui répondent en riant. Le patron du café tente une plaisanterie, le
passeur se force à sourire. L'officier ne réagit pas et plonge son regard dans les yeux des deux femmes après
avoir contemplé leurs photographies. Il leur rend leurs papiers, contrôle ceux du passeur puis se dirige vers
Hannah qui ne s'est pas détournée de la fenêtre. Une fois près d'elle il tend une main autoritaire et la jeune
femme plante ses yeux dans les siens. Louise et Esther retiennent leur souffle, elles la voient fouiller dans son
sac, contempler ses papiers, les poser en évidence sur la table avant d'en sortir d'autres qu'elle tend à
l'homme, sans lâcher son regard.
Décontenancé, l'officier hausse les sourcils. A peine a-t-il jeté un œil sur le document qu'il aboie un ordre.
Esther et Louise, paralysées, comprennent ce qui vient de se passer. On entend alors un trottinement sur le
parquet de la salle, Simon vient de sortir des toilettes et se précipite sur sa mère. Louise voudrait lui faire signe
de se taire, de se diriger vers elle, mais il est trop tard. L'homme interroge Hannah du regard. Sans hésiter,
d'une voix calme elle répond : « C'est mon fils. >>
Hannah et Simon quittent le café, encadrés par les trois hommes. Tout s'est joué en quelques secondes.
Hannah est déjà loin, le regard perdu. Simon suit sa mère et longe la table des deux femmes sans leur adresser
la parole. Sur son passage Louise se dresse mais une main ferme posée sur son épaule la force à se rasseoir :
celle du passeur, qui la foudroie du regard. Les officiers n'ont rien vu, la porte se referme sur la nuit noire, on
entend démarrer la voiture et c'est de nouveau le silence. Esther et Louise s'effondrent mais le passeur ne leur
laisse pas le temps de réfléchir, il est pâle, le front luisant de sueur : c'est maintenant ou jamais. Il faut partir,
ramasser les affaires dans l'appentis et emprunter le sentier qui mène vers la liberté, elles se chargeront des
sacs de la mère et de l'enfant. En se levant Louise cogne un objet sous la table : le chien de Simon. Le petit
garçon est parti sans son compagnon, lui rendre les aurait condamnées, de toute façon elle n'y a même pas
songé. Elle le presse contre son visage, le mouille de ses larmes.
Un secret, Philippe Grimbert, chapitre IV.
Questions : répondre aux questions suivantes avec des phrases complètes.
1) Situez le plus précisément possible cet extrait dans le roman : que s'est-il passé avant ?
2) Quel est le type de texte utilisé ? Justifiez votre réponse. Quel temps est utilisé ? Justifiez son emploi.
3) Etudiez le cadre de cet extrait : où et quand se déroule cette scène? Justifiez votre réponse en
relevant des mots du texte. Pourquoi ce choix de l'auteur ?
4) Les officiers allemands :
a. Comment sont-ils présentés dans la première ligne ?
b. Quels effets produisent-ils sur les personnages en présence dans le texte ? Relevez les termes.
c. Quels éléments du texte soulignent leur supériorité et leur pouvoir ?
5) Hannah :
a. Repérez ses différents gestes et attitudes au cours du texte.
b.
Renseignez-vous sur le personnage Médée de la mythologie grecque. En quoi Hannah lui
ressemble-t-elle ?
6) Louise et Esther: quels éléments du texte montrent qu'elles font preuve de sang-froid et de courage ?
7) Quels éléments du dernier paragraphe contribuent à rendre la scène particulièrement tragique ?