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Sagot :

                        la dormeuse

⇒L'endroit, d'habitude désert, grouillait de monde en ce lundi matin d'été. Du monde en bleu dans le vert de la forêt accrochée aux pentes. Les gendarmes, venus en nombre, avaient délimité une zone sur le sentier et attendaient dans une agitation fébrile. En contrebas, la route avait été barrée. Le temps semblait suspendu.

On entendit enfin le moteur caractéristique d'une vieille Coccinelle. L'insecte blanc grimpa la route et s'arrêta au départ du sentier. Un homme en sortit, que le plus gradé des gendarmes accompagna vers les lieux avec une sorte de dévotion soumise. Tout ce que l'on pouvait dire, c'est qu'il était grand, mais rien ne semblait vraiment le caractériser. Les langues des gendarmes étaient allées bon train pendant la longue attente. On leur envoyait le chef du « bureau des fadas », puisque c'était le nom que l'on donnait sous cape à ce service inconnu de beaucoup qui s'occupe des affaires « tordues », pour reprendre encore le vocabulaire des conciliabules. Il s'appelait Val.

L'homme, que tout le monde saluait avec déférence, s'arrêta avant les rubalises et s'emplit les poumons de l'air vif du matin. Il connaissait cette forêt. Il y était déjà venu. Des gens y avaient disparu au fil des dernières décennies, sans qu'aucun corps n'ait été retrouvé, sans qu'aucune explication n'ait été donnée. Au tournant de l'an 2000, elle avait été investie par des groupes d'illuminés qui, fin du monde oblige, dansaient autour d'un feu ou passaient en psalmodiant des portes temporelles faites d'arbres et de rochers. Puis, la fin du monde étant passée, tous étaient retournés au monde qui était censé ne plus être. Les disparus, eux, n'étaient jamais revenus.

Il s'approcha. Sur le bord du sentier, à quelques mètres seulement, assise en tailleur sur un tapis de mousse, dans le soleil qui perçait à travers les feuilles, une femme nue au crâne rasé avec, dans la main gauche, un bouquet de fleurs fraîchement ramassées – puisqu'aucune n'était fanée – qu'elle semblait porter à ses narines pour que le parfum les fasse frissonner. Et surtout, ouverte dans son dos, comme une petite fenêtre en ogive d'où sortaient des tiges de fleurs qui partaient en étoile et une longue tige de bruyère dont l'une des ramifications venait couvrir ses yeux. Les tiges semblaient plonger dans le corps sans traverser les chairs, comme happées par un trou de nuit noire. Sa main droite restée posée sur sa poitrine défiait les lois de la nature. Il souleva légèrement la bruyère posée sur les yeux ; ils étaient fermés, comme ceux d'une dormeuse. Rien ne révélait une quelconque violence, aucun trou rouge au côté, aucune plaie visible. Sa peau était pâle, mais elle semblait sourire, l'air tranquille. C'était tellement différent de ce qu'il voyait d'habitude, quand l'imagination humaine pervertie menait à l'innommable, quand les coups avaient arraché l'effroi avant d'arracher la vie. Il se dit qu'en fait c'était beau, comme un tableau posé en pleine nature.

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