Réponse:
Mes très chers frères,
Je sais ô combien vous attendez de mes nouvelles, mais le papier se fait rare en ce moment et mes doigts gelés, crevassés, sales et rigidifiés par le froid m'empêchent de tracer mes lettres et d'écrire quelques mots.
Ici, c'est l'enfer sur terre, les scènes d'horreurs ressemblent à un brasier sanglant.
Nous vivons terrés comme des bêtes dans les tranchées où règne une odeur inomable. Nos têtes sont couvertes de poux, nos barbes et nos cheveux sont couvertes de boue mêlés au sang de nos camarades. La boue nous envahit tout comme les rats, elle s'accroche à nous comme le lierre sur un arbre. Elle nous empêche d'avancer et nous retient telle une mère liée à son fils. Elle nous ronge, elle nous tue.
Dans cette vision apocalyptique, il n'y a que l'horreur à l'horizon, des corps déchiquetés, brûlés, troués, des lambeaux de chairs humaines qui sentent la viande grillée.
Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, la folie m'emporte et me dévore. Cruelle bête sournoise! La mort nous tend ses bras ! La balle attend de nous toucher !
Nous n'avons plus rien à manger, la faim nous tenaille, le froid nous cisaille, l'enfer nous côtoie.
Mes camarades s'en vont les uns après les autres, tués par les obus ou les armes. Mes seuls amis sont devenus les rats, car eux restent parmi nous, robustes et rapides.
Je vis sur un fil tel un funambule au dessus du vide.
Je ne pense plus, je ne ris plus, je n'espère plus.
Cette lettre sera peut-être la dernière mais elle sera mon unique et dernier échappatoire dans ce chaos indescriptible.
À jamais mes chers frères, j'espère ne jamais vous oublier.
Votre frère aîné
Gustave